25 avril 2014

Elles travaillent avec amour, mais ça, ça ne se diplôme pas!


Une journée dans la vie de Colette

Colette vient d’arrivée à la résidence où elle travaille avec une dizaine de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, il est 15 h: 20, juste le temps d'échanger quelques mots sur la journée de travail de sa collègue et de la saluer avant qu'elle quitte. 

M. Joseph marmonne! Je ne comprends pas ce qu’il dit, mais ça n’a pas l’air aimable et c’est peu dire. Ma collègue revient à la cuisinette l’air surpris, comme elle l’est à chaque fois et me dit « Sais-tu ce que m. Joseph vient de me dire ? Il m’a traité de grosse vache! » Et ce ne sera pas la seule fois où ma collègue se fera traiter de tous les noms durant son quart de travail. Les membres des familles des résidentEs de sexe féminin et les résidentes elles-mêmes y passent. Heureusement tous les résidents ne sont pas aussi grossiers, mais il arrive que certains d’entre eux soient très hargneux ou tout simplement misogynes, et ce n’est pas leur maladie qui les rend de la sorte, nous le savons toutes, mais nous faisons comme si... 

Sa journée ne fait que commencer. Elle voit M. Job qui commence à uriner dans le corridor en se dirige vers la chambre d’un autre résident. Il ne comprend plus ce qu’on lui dit. Lui, c’est sa maladie qui le rend ainsi. M. Jef qu’on entend toujours grogner, un peu comme M. Joseph, est exigeant et toujours mécontent, quémande son attention et exige qu’elle l’aide à se déplacer vers sa chambre avec sa chaise roulante. Et puis M. Jos se mêle de la partie en voulant manger les balles de tennis creuses qu’on met sous les pattes de chaises pour qu’elles glissent plus facilement. Ma collègue court à gauche, et à droite entre deux insultes que M. Joseph lui lance. Oui, oui, M. Joseph, j’arrive! lui lance Colette en courant pour enlever la balle de tennis de la bouche de M. Jos en s’occupant de déplacer M. Jef dans son fauteuil roulant, et va, poursuivant sa course, essuyer les dégâts de M. Job. 

16 h, c’est l’heure des médicaments. Ils ne sont pas trop résistants pour se faire donner leurs médications, qui les soulagent peu, mais sont d’excellents placebos. 16 h: 30, le souper arrive. C’est la course qui recommence, ils veulent tous être servis en même temps.  J’entends marmonner M. Joseph. Ma collègue se transforme en « waitress ». M. Jef refuse son assiette qui lui demande des toasts au beurre de peanuts avec de la confiture en exigeant d’enlever les croûtes du pain ; Mme Dora veut son thé et mme Doris son café faible. Finalement ma collègue a fait des rôtis pour la moitié des résidentEs, distribué les breuvages et les desserts. En plus de faire la navette entre la cuisine et les tables, elle nettoie les dégâts de M. Job et lui demande de cesser de fouiller dans l’assiette de Mme Dora, essuie la bouche et le nez de M. Jos qui dégoulinent, et continue d'endurer les sarcasmes de M. Joseph. Le souper achève, ma collègue va maintenant s’occuper de Mme Dorothée, qui ne mange plus d'elle même, elle a 100 ans. La plupart d'entre eux attendent, sur la liste, une place dans les centres de soin longue durée... 

17 h: 10, Colette dessert les tables. Moment de répit! Non! Elle voit M. Job baisser son pantalon pour..., on ne le saura pas puisqu’elle remonte le pantalon en vitesse et le dirige vers la salle de bain. On sonne à la porte de son département ! Avec hésitation, elle laisse pour quelques instants M. Job sur la cuvette pour ouvrir. Certains membres des familles qui viennent visiter leurs parents n’aiment pas attendre, ils s’impatientent et le font sentir à ma collègue. Elle les laisse pour retrouver M. Job qui a beurré les murs de la salle de bain de ses selles. 

La plupart des préposées aux bénéficiaires employées dans des résidences, privées et/ou intermédiaires*, sont des femmes de tous âges. Les plus jeunes sont souvent chefs de famille. Certaines d'entre elles sont peu scolarisées, pourvues d'intelligence et de coeur, elles travaillent avec amour, mais ça, ça ne se diplôme pas! 

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Voici quelques statistiques:
QUELQUES STATISTIQUES :
Saviez-vous qu’on comptait en 2011, 747 000 Canadiens atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée? Ce chiffre atteindra 1.4 million en 2031. 
  • Pour chaque personne atteinte, il y aurait environ 10 personnes affectées dans l’entourage immédiat (les proches aidants).
  • Les proches aidants (familles, amis) assument environ 80% des soins à domicile requis par les personnes âgées.
  • Plus de 35% des aidants dans la collectivité sont âgés de plus de 70 ans.
  • Les coûts annuels des atteintes cognitives  augmenteront de 33 milliards (aujourd’hui) à 293 milliards de dollars en 2040.
  • En 2011 les proches aidants ont passé 444 millions d’heures non payées en prenant soin d’un membre de la famille atteint d’une maladie cognitive. Cela représente 11 milliards de dollars en perte de revenu et plus de 230 000 emplois à temps plein perdus. En 2040, les proches aidants dépenseront 1.2 milliard de dollars en heure non payée.
  • Les femmes représentent 72 % de tous les Canadiens atteints de maladie d’Alzheimer.
  • L’âge demeure le facteur de risque le plus important. Le risque double tous les 5 ans après l’âge de 65 ans.
  • La maladie d’Alzheimer ou maladie apparentée peut également atteindre des personnes dans la40aine ou la 50aine.
  • Les modifications dans le cerveau qui mènent à la maladie peuvent débuter 25 ans avant l’apparition des premiers symptômes.
  • Les causes de la maladie d’Alzheimer ne sont pas totalement comprises et il n’existe pour le moment aucun remède.
  • Il n’existe pas de moyen de prévention, mais un régime sain, l’activité physique, mentale et sociale peuvent, réduire les risques.
Références:
http://www.alzheimer.ca/fr/About-dementia/Dementias/What-is-dementia/Facts-about-dementia

3 commentaires:

  1. Je viens de terminer, comme tous les vendredis, un avant-midi avec ma maman, qui est en résidence. Je lui donne un grand bain assise dans le bain et lui lave les cheveux, ô tâche délicate (sa grande phobie de l'eau depuis son AVC, surtout en contact avec ses oreilles, a fait qu'elle refuse catégoriquement que les PAB s'en occupent...). Et comme chaque fois, je reviens tellement épuisée... Mais je suis aussi reconnaissante; je dis dans ma tête : '' Merci maman, d'être devenue depuis 3 ans (AVC) mon instrument le plus précieux pour exercer ma patience et faire la preuve de mon amour pour toi. Merci de me permettre chaque semaine de faire la démarche de dépassement de soi la plus exigeante et épuisante de ma vie, grâce à tes problèmes de mobilité, de mémoire à court terme et tes troubles cognitifs. Merci de me donner un aperçu très clair de ce qui m'arrivera ou pourrait m'arriver lorsque ce sera mon tour d'aller en résidence...'' C'est à chaque fois une bonne leçon d'humilité et un apprentissage du don de soi inconditionnel... un coup passée et acceptée la tristesse normale liée au fait d'être témoin d'une lente descente vers l'instant qui deviendra le dernier... Alors je sais, chère Colette, ce que les PAB ont comme défi. Merci de partager ton cheminement...

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  2. Allo Madame Colette!!!!félicitation pour votre beau travail et votre dévouement!Je suis moi meme PAB.et travailles dans une résidences privé et je vais vous dire que nous sommes toujours dans le gros rush,je suis en arret de congé maladie(burn out) j'adores mes résidents ,ont n'est une 2 eme grande famille et j'aime mon métier plus que tout,mais ma santé est rendu la!!trop plein de stress,manque de sommeil etc,et surplus et encore surplus de travail!!!!toilette partielle,bain changement de culotte d'incontinence ,service de repas ,buanderie,médication,etc beaucoup de personnes Alzheimer et des personnes semi autonomes et autonomes,tous ensembles ,pas d'ailes prothétiques,alors s'est pas facile pour tout le monde!!Bon !!!!je pourrais écrire un livre!!Bonne soirée a vous et que Dieu nous proteges!!!!!!si personnes d'autres ne peux le faire!!!!!!

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  3. Il y a une petite unité prothétique à la résidence où vit maman. Cette unité est ''fermée à clé'' et les résidents qui s'y trouvent en sortent rarement sauf pour des promenades en petits groupes, dûment accompagnés par 2 ou 3 préposés. Leur regard est dû au fait qu'ils sont, comme on a tendance à le dire, pas mal perdus les pauvres, soit qu'ils ont de l'Alzheimer assez avancé, soit qu'un AVC les a privés de leur raison... soit que la médication qu'on leur donne est très forte. Certains doivent être en tout temps pris par la main, car ils se mettent à errer et pourraient sortir de la place et se perdre. Les autres résidents les voient donc seulement lors des promenades ou quand il y a des spectacles ou des dîners/soupers spéciaux. L'AVC de maman ne l'a pas laissée très handicapée physiquement, sauf perte de 50 % de sa vue et 50 % de son ouïe, de même que l'incapacité à faire certains gestes (ne sait plus comment fonctionne une télécommande, un micro-ondes, les freins de la marchette, ouvrir et fermer les persiennes, une laveuse et sécheuse, attacher ses souliers...), et à ''raisonner ou relativiser'' lorsqu'il y a un élément nouveau ou stressant dans son environnement. Tout nouveau résident ou tout comportement différent lui fait peur et la pousse à vouloir retourner à sa chambre, angoissée, et à se faire des scénarios un peu paranoïaques. Et comme sa mémoire aussi est très, très courte, elle à peine à se rappeler que ça fait 3 ans que je lui donne un bain et lave ses cheveux une fois semaine et à chaque fois, je dois recommencer un travail d'apprivoisement, la rassurer, la séduire pour cet acte d'hygiène pourtant ordinaire... pour nous. Ça m'épuise plus que de le donner ce bain. Et c'est difficile d'autant plus que ma mère était très intuitive, autonome, débrouillarde, etc. Elle est tellement vulnérable et toujours réticente pour tout que ça prend énormément d'amour et de patience. Trois préposées seulement ont réussi à tisser un lien de confiance avec elle et je te dis qu'à chaque fois qu'elles prennent leurs vacances, si elle se retrouve avec du personnel qu'elle connaît moins, ça finit par une grève de la faim et mon frère et moi devons intervenir, rassurer, aller calmer les crises d'angoisse. Je fais des sessions de coaching de soutien depuis 3 ans, ce qui m'aide beaucoup. Mais je ne peux nier que la maladie chronique que j'ai a explosé depuis 3 ans... Je n’avais pas pensé que ça allait être si difficile, je l'avoue. Parfois, il y a des petites fenêtres de bonheur : maman me regarde et me demande ''qui t'es déjà pour moi ?'', et je lui réponds ''ta mère''... Pour 2 minutes, elle lève le sourcil, puis rit et me dit ''ouais, c'est quasiment ça maintenant, t'es plus ma mère que ma fille'' et elle rit... Ou lorsqu'elle reçoit ses arrière-petites-filles, mes petites-filles ; elle se laisse alors aller à ce qu'elle faisait de mieux, materner...

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